C’est un roman qui donne un coup de projecteur sur la population d’émigrés algériens qui vit en Tunisie et en Lybie, « les Déracinés ». Ils vivent au jour le jour pour la plupart, de petits boulots, voire de plus grosses prises. Ils se supportent mal ou pas du tout, comme ce duo d’hommes qui en viennent aux coups d’exaspération réciproque, tout en partageant la même chambre mais sans pouvoir se quitter, rivés l’un à l’autre, ils forment des couples étranges. Sans femmes, célibataires, semble-t-il. Ils ont, pour certains, laissé la femme à la maison, avec les enfants, ne lui donnant de leurs nouvelles que de loin en loin. La faim sexuelle les pousse à des satisfactions qu’ils méprisent pour la plupart d’un même mouvement avec les intéressées, mépris qu’elles intériorisent d’un commun accord, par goût du lucre ou nécessité de leurs vies.
Tout une camaraderie nait et vit de ces cohabitations d’hommes célibataires par la nécessité. Les femmes elles sont partagées entre la trahison que leur impose le Père et la déchéance dont elle tire les conséquences jusqu’à la lie.
Le personnage central, Hamid, s’est arraché de chez lui, au début du roman, où il était marié et père de famille. Sans jamais donner de nouvelles de lui-même sinon par la pensée, c’est-à-dire aucune. Sa femme l’a perdu, ainsi, au fil des mois, renonçant à lui et à sa paternité, sombrant dans les intrigues de femmes toujours prêtes à lui offrir un secours intéressé qui l’ enfoncera un peu plus dans la perdition.
Les Pères, ceux de l’ancienne génération, sont oppressants, souvent malhonnêtes, abusifs, imbus de leurs rôles pendant la colonisation.
La vie du principal héros, Hamid, se déroulera en demi mesures, partagée entre des velléités de journalisme caché et un quotidien de petits boulots dans lesquels il essaie de dissimuler son ignorance de métiers simples comme celui de maçon, où il est surpris en flagrant délit d’ignorance du BA BA.
Sa vie sera éclairée par la rencontre avec une femme aux beaux yeux verts, mariée, qui a jeté son dévolu su lui. Les femmes semblent marquées par une destinée étrange. Ou bien le sort les a condamnées malgré elles à être des parias ou une situation exceptionnelle les a sauvées du naufrage dans lequel ses congénères perdent pied. Ces rencontres sexuelles sont, cependant, l’occasion d’échanges d’une poésie pénétrante.
L’ensemble du roman est dominé par la présence du banditisme islamiste qui fait l’objet d’analyses et d’une condamnation sans appel. Cette violence pèse, d’un bout à l’autre du roman, sur celui-ci. Les naufragés surnagent avec peine absorbés par la vindicte cynique qui les porte, rien ne paraît lui résister et elle semble se sublimer dans une course après l’horreur absolue. La démocratie semble absente, quoiqu’ à la réflexion elle est comme sous-jacente à l’horreur. Les hommes vivent et conversent, stoïquement, mais malheureusement la femme reste un plaisir défendu mais indispensable. Un destin atroce semble attachée à elle et au plaisir dont elle est l’objet recherché. La présence française reste une absence, qui n’a laissé de trace que celui du souvenir de l’horreur qu’elle a abandonné derrière elle, et qui confronte l’Algérie dans un face à face éternel.
La fin du roman est à l’image de cette ambiguïté fondamentale qui imprègne le roman dans ses profondeurs. D’où naît l la discordance entre l’article qui relate la mort du héros Hamid et l’ ultime récit de son exécution par une gazette locale. Une ultime ironie ?
Est-ce là le dernier mot ? la fin d’une histoire d’incompréhensions ? ou le début d’un long combat qui finira victorieux malgré tout ?