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Mes livres - Destin de femmes

28 Février 2016 , Rédigé par Makhlouf BOUAICH

Etre femme dans une société où les membres se plient à des règles coutumières non écrites.

Etre femme dans une société où les membres se plient à des règles coutumières non écrites.

Extrait :

C'était aux débuts de la période de l'indépendance du pays. A cette époque, les armes de chasse étaient faciles à acquérir. Le permis était octroyé sans difficultés, et les les armuriers n'exagéraient pas sur les prix, car beaucoup en importaient de France.

J'étais encore toute petite. Mon père me tenait sur ses genoux, me parlait tout doucement, comme tout père aimant sa fille, tout en caressant la crosse de son fusil.

LECTURE ANALYTIQUE DE CES NOUVELLES, PAR ALLAOUA KHERIB :

L'auteur se glisse dans la peau de sa narratrice dont on ignore, et le nom et le profil psychologique, une sorte d'arlésienne kabyle. En disant "Je", il endosse sa tragique fin et la fait sienne. Ce qui donne de la force au récit et participe activement de sa véracité, tromphant ainsi de son caractère fictionnel. Quelle meilleure façon d'ailleurs de parler de la condition de nos femmes !

La mise en abîme est remarquable, tant elle nous met dans le bain dès la première page. D'un style nerveux, le verbe y est pour beaucoup dans le dynamisme du récit, préférant ainsi l'action aux longues descriptions chargées et inutiles.

Allaoua KHERIB, chercheur universitaire, Paris.

Lecture de "Destin de femmes" faite par Monsieur Max Vega-Ritter.

 

L’écriture romanesque sobre de l’auteur est dans ces deux nouvelles toujours aussi précise et efficace. Il porte cette fois-ci le fer dans les relations entre hommes et femmes dans le monde rural. C’est toute une comédie dans les rapports qu’il décrit : les malentendus, les quiproquos, les ambigüités et les effets boomerangs imprévus, les incohérences et les contradictions des attitudes, les sentiments qui basculent dans leur contraire de façon inattendue, les coups de théâtre et les rebondissements qui en résultent.

Un mari jaloux introduit lui-même le loup dans la bergerie et découvre avec fureur l’événement qu’il a lui-même amené avec naïveté ou invité inconsciemment. Un homme organise lui-même la ruine de son image et de sa situation personnelle dans son village en croyant les rehausser ou les restaurer. Les personnages traditionnels défilent. Le saint homme guérisseur abuse de la bonne foi de ses visiteurs mais aussi de leurs femmes.

La communauté du village et surtout celle des hadjis s’érigent en autorités morales pas forcément désintéressées, mais en tout cas promptes à dépecer les biens des naïfs qui les prennent comme conscience. Un homme s’épuise à essayer d’interpréter le sens des messages que lui renvoie sa communauté ou du moins ce qu’il croit percevoir de la part de celle-ci.

Tout cela donnerait matière à comédie certes cruelle, mais finalement hilarante s’il n’y avait pas la pulsion violente persistante, surtout un sens de l’honneur viril qui ne pardonne rien lorsqu’il est en cause et qui rend fou. Le père aimant cajoler sur ses genoux son fusil de chasse et sa petite fille dans une égale adoration : une proximité et une confusion qui annoncent déjà le dénouement. La femme devient le signe de la puissance de l’homme, sans celle-ci il n’est plus rien à ses yeux, ou à ceux de sa communauté, du moins le croit-il.

L’humour des fabulistes arabes ou persans aurait-il déserté la société algérienne ? Il est vrai que dès les premiers chapitres des Mille et une nuits on ne plaisante pas avec l’adultère.

Pourtant la communauté décrite est d’une simplicité biblique et frugale. Elle n’est en rien contaminée par les démons de la consommation dévorante et l’amoncellement des déchets que celle-ci cause. On y a un respect naturel des femmes et des hommes. La sœur sensée être séduite par la nouvelle liberté de choix des femmes n’est pas méprisée ni condamnée, en tout cas pas dans un premier temps.

Tout se gâte lorsque la place de l’homme dans une société immobile est menacée. La perte de celle-ci est alors ressentie comme destructrice et irrémédiable. Le changement des mœurs devient alors sources de fantasmes et de désespoir qui rendent fou. Au bout du compte le bon vieil ordre de la hiérarchie des biens et des hommes et le tabou millénaire sur la vie humaine l’emportent. Le fou devient le témoin de la déraison qui s’empare des hommes lorsque l’énigme de la femme, de ce qu’elle veut et de ce qu’elle est, fait irruption dans la vie des hommes.

Certes les nouvelles de Makhlouf BOUAÎCH, comme son précédent roman, laissent deviner quelques placards secrets où sont soigneusement enfermés des squelettes que les sociétés musulmanes contemporaines n’aiment guère exhumer, voire s’acharnent à refouler, contrairement à certaines de leurs ancêtres d’autres époques, à l’érotisme plus libre et plus vrai. La hantise de la castration que le souci, exacerbé jusqu’à l’absurde, de l’honneur viril dissimule et incarne à la fois, lève sans doute un pan du voile.

Étrange mari qui introduit lui-même le loup dans la bergerie, étrange fureur qui le saisit alors de surprendre sa femme jouir avec un autre. Étrange certitude qui fait croire à un frère que sa sœur est une femme facile, sans le vérifier, et le remplit de pulsion homicide. La part de féminité qui existe en tout homme leur joue de bien vilains tours, lorsqu’ils ne veulent rien en savoir.

Ces deux nouvelles de Makhlouf Bouaïch sont deux joyaux aux facettes soigneusement taillées : raison de plus pour déplorer quelques fautes d’impression de la part de la jeune maison d’édition.

 

Max Véga-Ritter,

Professeur émérite

Université Blaise Pascal

Clermont-Ferrand

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